Rencontre avec l’artiste béninois Rafiy Okefolahan et ses ‘Faits divers’
La première fois que j’entends parler de Rafiy Okefolahan, c’était à une exposition sur l’art urbain à la Galerie Lazarew, au détour d’une conversation que j’ai avec la galeriste. Dès qu’elle apprend que je suis béninoise, elle me parle de cet artiste très « créatif et habité par la culture de son pays ». Huit mois après, je le rencontrais.
Faits divers
Je ne connaissais pas Rafiy Okefolahan. Je commence donc à le suivre et guette sa prochaine expo. Elle se présente. C’est « Faits divers » à la Galerie Charron. J’y fais un tour. Pour moi c’est compliqué à comprendre. Je note dans mon agenda le 11 novembre à 15 heures, date annoncée par la galerie pour une discussion prévue en présence de l’artiste.
Mais cet après midi là, je suis à une foire d’art, je ne vois pas le temps passer, je rate Rafiy. Qu’à cela ne tienne. Je refais un tour à l’expo quelques jours plus tard. J’y redécouvre les toiles colorées faites de teintes primaires. À première vue, les mélanges de couleurs sont des appels à la joie de vivre. Et ça contraste avec la grisaille des derniers jours d’automne. Mais il n’y a pas que ça. Je sais des lectures sur lui que l’artiste est féru d’actualité. Je décèle dans les ombres de ses toiles abstraites les tourments de la société. Elles recouvrent autre chose, avec une seconde lecture moins accessible. Je veux savoir ce qu’il y a sous le masque de ses silhouettes fondues dans les couleurs. En sortant, j’apprécie mais je reste un peu sur ma faim, ou devrais-je plutôt dire, ma soif de mieux comprendre.
Peu de temps après, j’apprends que le succès rencontré par l’expo a permis qu’elle soit prolongée jusqu’au 21 décembre. Cette fois-ci, je saisis l’occasion. Je décide de rencontrer l’artiste pour en savoir un peu plus. Je le contacte via Instagram. Rendez-vous est pris.
Ce qu’on peut déjà dire de Rafiy
Il est né le 7 janvier 1979 à Porto Novo ( Bénin ). Il puise sa force créatrice dans le bouillonnement culturel de l’Afrique. Artiste nomade, son parcours l’a porté dans divers pays d’Afrique de l’ouest, avant qu’il ne s’installe 2 ans au Sénégal, à l’école Nationale des Arts de Dakar. En 2014, il a été sollicité pour une première commande publique pour l’Aéroport de Cotonou (Bénin) [1] . Aujourd’hui, il vit et travaille en France. Il projette sur ses toiles les lectures qu’il fait des événements qui secouent la planète. Il met dans ses œuvres son intention de faire découvrir la culture en général, celle de son pays d’origine en particulier. Et pour cela, il se sert volontiers des éléments naturels comme la terre, le sable ou le marc de café. Il conçoit sa production comme un moyen de mettre de l’ordre dans le chaos du réel, de lutter contre l’oubli, de garder en mémoire [2] .
Rencontre avec l’artiste
Pour comprendre mon travail, il faut connaître mon pays, ma culture
Rafiy OkefolahanLa rencontre a donc lieu le lundi 27 novembre 2017, il est 16 heures et il pleut des cordes. L’artiste Rafiy me reçoit dans son studio en rez-de-chaussée dans une ville de la proche banlieue parisienne. Il est entouré de quelques amis artistes, parmi lesquels le promoteur d’événements via la plateforme Natural Dap Records . Il est surpris, il pensait voir un homme. Il faut dire qu’avec les réseaux sociaux, aucune présentation formelle n’avait eu lieu auparavant. Une fois les présentations faites, nous rentrons dans le vif des sujets qui me permettrons d’en savoir un peu plus sur sa personnalité pour mieux saisir ses œuvres.
Pour commencer, tu peux te présenter et revenir un peu sur ton parcours ?
J’ai commencé entre Cotonou et Calavi. À force de côtoyer des peintres et autres artistes, j’ai eu envie de peindre aussi. Au début, je faisais des petites choses au centre artisanal et j’ai approché un artiste qui m’a inspiré. Au Bénin, l’inspiration part souvent du Vaudou.
Et c’est qui cet artiste ?
Peu importe. Il n’a pas voulu me prendre comme élève car selon lui, je n’avais pas des aptitudes pour la peinture, pas une tête à faire la peinture. J’ai donc commencé à prendre des cours à droite et à gauche chez d’autres artistes. Pour survivre, j’ai d’abord reproduit des œuvres pour vendre. J’ai rencontré un artiste togolais, Kikoko qui était en exil politique. Il utilisait un grattoir, pas un pinceau. Pendant 6 mois, j’ai peint à ses côtés et appris d’autres choses.
Puis j’ai beaucoup voyagé pour apprendre d’autres techniques. Car l’histoire et la pratique religieuse étant différentes dans chaque pays, les inspirations et les influences le sont aussi. Plus on s’éloigne du Bénin, plus c’est différent. Il y a d’autres réalités. J’ai ensuite intégré une école nationale des beaux-arts à Dakar au Sénégal. Je n’y suis resté qu’1 an car il y avait trop de théories et moi j’avais besoin de pratiquer et de gagner ma vie. Je fais la Biennale de Dakar. En 2008, je mets en place le mouvement ELOWA (qui veut dire Aller et revenez en paix en Yoruba ) pour favoriser les échanges et la création entre divers artistes. J’ai continué à travailler avec des artistes puis je suis allé en France dans un but artistique, sur invitation du galeriste Olivier Sultan.
Et comme je voyais qu’il y avait beaucoup de protocoles pour intégrer la scène artistique à Paris, que c’était trop long avec trop de codes, j’ai pris mes tableaux sous les bras et je suis allé frapper à des portes de galeries au culot. Une galerie m’a proposé une collaboration et depuis 2009, je suis resté et c’est comme ça que les choses sont parties. Aujourd’hui, j’expose un peu partout.
Mais tu avais une idée du prix du marché et de la valeur de tes tableaux quand tu as démarché les galeries ?
Non pas du tout. Je suis même venu avec mes prix depuis là-bas. Le genre 500 euros pour une toile 1 m/1 m. J’ignorais les prix du marché
Comment définis-tu ton style ?
Je ne donnerai pas une définition académique de mon style. Donner une définition, c’est se mettre dans une case. Moi j’ai envie d’apporter un mieux. J’ai envie d’apporter des émotions aux gens. Par exemple il y a des mots dans ma langue qui ne correspondent à rien dans ce que je veux décrire en français. Moi je pense d’abord en Yoruba et ensuite je traduis en français. Pour comprendre mon travail, il faut connaître mon pays, ma culture .
Dans mon travail, je parle de mes valeurs, de ma culture, de la manière dont les gens s’adaptent aux nouvelles technologies. Le mot artiste a évolué avec le temps…
Oui il est un peu galvaudé c’est ça ?
Oui c’est ça
J’ai lu une interview de toi en 2012 sur Africultures : où tu disais toujours chercher la bonne définition de l’artiste. Tu as trouvé ? Qu’elle est elle ? Tu l’as toujours été ou tu l’es devenu ?
Oui je peux dire, aujourd’hui, je suis un artiste, un bon coloriste.
OK, justement tu te définis comme quoi ? Artiste contemporain ? Artiste africain contemporain ?
Artiste. Il ne faut pas qu’on associe « africain » à quelque chose de moins bien, comme une sous-catégorie. Je suis artiste et bien sûr je suis Africain. Mon inspiration est dans le Vaudou et le Bénin. Mais le message que je porte est global. D’ailleurs on parle de monde globalisé aujourd’hui. Donc oui, je suis artiste et je me revendique du monde.
Dans la création ce sont souvent les événements qui permettent de créer. L’histoire de l’art occidentale est différente. Les transmissions sont différentes. Donc l’implication dans l‘histoire d’écriture de l’art est différente. Nous en Afrique, on a une histoire, sauf qu’on la transmet à l’oral. Donc il n’y a pas de trace. Ça ne veut pas dire qu’on n’a pas de passage dans l’histoire de l’art. Mais on n’a pas fait la transmission nous-même, on ne fait pas les choses pour la transmission.
Justement les réseaux sociaux et internet et tout ça sont là pour permettre la transmission non ?
Oui, les réseaux sociaux sont une mine d’or pour l’Afrique. On doit se libérer de certaines personnes. Plus besoin d’intermédiaire. Ce sont des outils qui peuvent beaucoup aider en Afrique et sont accessibles au plus grand nombre. Dans ma création, je me sers souvent de tutoriels pour connaître de nouvelles techniques. Internet, c’est une mine d’info.
C’est un bel outil pour la sauvegarde, même si ça peut être dangereux pour l’œuvre d’art et les droits. C’est comme la Bible. Tout dépend de comment on la lit. Ici, tout dépend de l’usage qu’on fait de son œuvre sur les réseaux. Ce n’est pas pareil de publier une œuvre que j’ai signée que de mettre en ligne une photographie qu’on vient de prendre en tant que photographe. Elle peut être détournée, volée. Il faut faire attention à ce que l’on fait.
Quelles sont tes sources d’inspiration ?
L’actualité est une source d’inspiration. Le but est de toucher les gens de manière agréable. D’où les couleurs. En Afrique, les couleurs sont partout. Ma manière de fonctionner, c’est comme un féticheur. Il y a comme un besoin d’apporter un cadeau pour le fétiche par la couleur des peintures : rouge soleil, le vert qui évoque les plantes malaxées, le blanc qui est comme la pâte d’akassa mélangée avec de l’eau. La toile est un fétiche, les couleurs sont des offrandes. Par la superposition des couleurs, il y a l’acte de conjurer les mauvais sorts. Les problèmes appellent à l’acte de création.
Qu’en est-il de ton actualité? Tu es à la fois à Paris et à Auxerre c’est çà?
Non, l’expo à Auxerre est terminée
Ah bon ?
Oui c’est terminé. J’ai fait des choses à Auxerre avec la Jeune Chambre internationale. On a collaboré depuis longtemps sur divers projets avec le Bénin. J’ai fait une performance et j’ai invité plusieurs personnes à participer à une Œuvre collective pour le compte d’une association burkinabé « Chacun cherche son âne » [3] . 30 % des ventes de mon œuvre ont été reversés à l’asso. On a réussi à récolter 1 200 euros qui sont allés directement à l’association.
À Paris, je suis toujours à la Galerie Charron. Justement l’expo a rencontré beaucoup de succès et a été prolongée.
C’est à la demande des visiteurs c’est ça ?
Oui elle a bien marché et est prolongée jusqu’au 21 décembre.
D’ailleurs à propos, je voulais aborder un autre pan de l’actualité. J’étais à AKAA récemment et j’ai été surprise de ne pas t’y voir. C’est une volonté de ta part ou… ?
Tu sais, j’expose dans des galeries en permanence depuis 2009, à Paris. Et je ne voulais pas être à AKAA juste pour y être. Il faut du temps pour que tout ça se consolide. D’où la nécessite de ne pas se précipiter pour y aller. De toute façon, je finirai par y aller. Soit parce que je voudrais, soit parce que les galeries qui me représentent décideront d’y présenter mes œuvres. Aller à AKAA n’était pas une fin en soi. Mais c’est un événement majeur qui permet de montrer les artistes du continent et c’est une bonne chose. On verra ce qu’il adviendra, on verra si elle se pérennise aussi…
Est-ce que tu collabores ici avec d’autres artistes ou tu es plutôt solitaire dans ta création ?
Oui je collabore avec beaucoup d’artistes. J’ai mis en place « Les portes ouvertes à Belleville » et fait voyager des artistes au Bénin. J’œuvre beaucoup pour apporter ma pierre à l’édifice, apporter une autre manière de faire.
Il y a eu au Bénin, le festival de graffiti Regraff qu’on a mis en place pendant plusieurs années. Cette année, ça ne s’est pas fait car on a eu besoin de prendre du recul, de se poser un peu pour voir les directions à prendre. En général, ça a lieu en novembre. On le fera l’an prochain, j’y serai. En tout cas, les jeunes sont outillés là-bas. Maintenant il faut donner une autre orientation à la structure. On a fait venir des artistes en Europe. En France, il y a les artistes de Belleville qui vont au Bénin.
Sinon, je fais beaucoup de travail de pédagogie avec les élevés à Auxerre. Je leur explique l’importance des couleurs. Je les incite à mélanger les couleurs pour observer les résultats. C’est beau l’association de couleurs. Mais depuis deux ans je fais une pause dans cette dynamique d’impulsion culturelle car il faut consacrer aussi à la création. On a un minimum d’obligation vis-à-vis des galeries quand même…
Une dernière question pour finir. Un de mes sujets de philo il y a longtemps c’était : l’artiste est-il embarqué dans la galère de son temps ?
Oui. Mais la galère ce n’est pas que financier. Par exemple après un excellent vernissage, l’artiste peut se retrouver tout seul dans son coin, en isolement. La solitude le guette souvent.
L’artiste doit interpeller et se retrouve souvent à faire le boulot que la situation sociale attend de lui. Il devient gardien. Dans ce rôle, il doit être sincère. C’est comme un sacerdoce.
Moi je travaille 24 heures sur 24, pas de repos. Dans la création on s’oublie et on risque de se retrouver tout seul. En tant que créateur, on a besoin de tous pour créer. L’artiste doit se surpasser, passer du monde normal à l’isolement total. C’est comme Jésus en fait . Rires…
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