Une journée avec ma tante au marché Dantokpa
Acte I : Description de « tantie » et de sa boutique
Pour ceux qui n’ont jamais entendu parler de Topka, il s’agit du plus grand marché multisectoriel et à ciel ouvert de l’Afrique de l’ouest. Incontournable au Bénin, il est sans aucun doute l’indicateur de référence pour l’économie du pays avec une activité humaine qui peut atteindre le million de personnes qui viennent quotidiennement.
Cela fait des années que ma tante y est commerçante. Lors de mon dernier passage au Bénin, j’ai eu envie de faire un focus sur elle et son activité de vente de riz. Non pas parce qu’elle fait partie de mon top 10 des personnes que j’admire le plus, mais surtout pour voir quelle stratégie marketing elle a mise en place pour promouvoir son commerce.
Portrait de Tantie
Celle que j’appellerai Tantie tout au long de cet article est une femme dynamique de 56 ans, mariée et mère de 4 enfants. Après des études en sciences économiques, elle fait toute son école dès 1988 auprès de sa mère qui était aussi une commerçante de renom et reconnu dans le milieu.
L’entreprise dont elle a pris entièrement les rênes en 2000 est donc la poursuite d’un investissement initialement fondée par sa mère qui y vendait des tissus (wax). Au fil des années, l’activité s’est diversifiée jusqu’à se spécialiser dans la vente riz (détail et gros).
Dans ces gestes, je note le professionnalisme, la rigueur de la comptable et l’assurance de quelqu’un qui maîtrise parfaitement son secteur. Son sourire est désarmant, nul besoin de plus pour capter le client qui rentre.
Tout le temps qu’ont duré nos échanges, j’ai néanmoins perçu dans son regard, l’inquiétude face à une activité qui ne connaît plus les hauts niveaux jadis atteints.
Reportage sur les lieux
La boutique
J’ai passé une journée sur son stand le 14 septembre 2016. C’était une journée pluvieuse ce qui ne présageait rien de terrible en termes de rentabilité. Je l’ai observée faire, nous avons beaucoup discuté, puis je l’ai interviewée.
Je suis arrivée vers 11 heures dans une ambiance plutôt calme. J’en ai profité pour faire le tour du lieu.
La boutique n’est pas très grande mais s’étend sur la longueur. Je découvre un lieu de vie entièrement équipé pour le confort de la commerçante qui y passera une journée dans l’attente du défilé des clients.
À droite sur le côté, il y a un lit pliable d’une place pour se détendre si besoin. Je remarque la radio posée sur une chaise à côté pour écouter la musique ou les informations car Tantie est très intéressée par la chose politique.
Un petit coin cuisine est là sur ma gauche pour préparer ou réchauffer de quoi manger pour le déjeuner.
Au fond, j’aperçois l’entrepôt de stockage plutôt garni. Il y a toutes sortes de catégories de riz en vue de vente pour les particuliers ou les fournisseurs de gros. Riz cassé, riz jaune, riz long…
Le riz, le commerçant et le client
Soudain vers 12 h 45, les clients commencent à se manifester peu à peu. Parmi eux, des habitués mais aussi des nouveaux qui ont été recommandés. Certains, vu leur démarche hésitante ont eu du mal à trouver le lieu.
L’acheteur est parfois très averti et sait ce qu’il veut. Mais souvent, c’est Tantie qui conseille sur la catégorie la plus adaptée à son besoin et son budget.
La négociation commence et se mène très dure avec le client qui ne lâche pas le morceau. J’observe tout l’art de la marchandisation. Les échanges d’amabilité ne réduisent en rien la tension qui se manifeste lors de ce bras de fer qui commence avec pour seule motivation la satisfaction des 2 camps de s’arrêter sur un prix. Ça y est c’est fait. Tout le monde est heureux, la commande est passée.
C’est l’heure des comptes et de l’établissement de la facture. Dehors, il y a la voiture garée en face de l’échoppe dans l’attente que le coffre soit rempli de paquets de riz commandés par le client.
Ce service de chargement est fourni par des personnes tierces nommées « gbassè » qui s’occupent de récupérer la marchandise dans le dépôt et les charger dans le coffre de la voiture. [Il arrive aussi que des produits soient commandés, confiés à des « zems » de confiance qui les livrent au client et ramènent l’argent au vendeur. La confiance seule suffit].
Pendant que les sacs de riz sont chargés dans la voiture, l’assistante de Tantie veille au comptage. Une fois tout terminé, un décompte est refait pour vérifier que la commande est conforme à la facture établie.
Il est un peu plus de 17 heures On commence à ranger la marchandise exposée dehors en guise de vitrine. Finalement, entre le défilé des clients qui se sont succédés et les moments de rigolades sur les anecdotes qu’on a échangés, la journée est passée si vite.
Le bilan pour moi est on ne plus satisfaisant.
Du côté de Tantie, c’était une journée moyenne en termes de chiffre d’affaires.
Mais un autre défi l’attend : rentrer le plus vite possible à l’autre bout de la ville pour échapper aux énormes embouteillages du soir qui sont devenus la bête noire de tout conducteur de voiture dans le centre de Cotonou. Les réalités d’une fin de journée de travail changent si peu d’un pays à l’autre…
Acte II : Interview de « Tantie »
Depuis quand et pourquoi as-tu repris cette activité ?
J’ai accompagné ma mère depuis la fin de mes études et c’est tout naturellement que j’ai pris les rênes au moment où elle a eu envie de passer la main. Cette activité n’aurait certainement pas continué si elle n’avait pas eu confiance en mes capacités, et si quelqu’un de la famille n’était pas prêt à s’investir. D’ailleurs, je suis moi-même convaincue de ça à mon niveau.
Combien y a-t-il de personnel à ta disposition pour t’assister dans ta démarche quotidienne ?
Une personne qui vient avec moi.
Qu’est-ce que tu déplores le plus du coup ?
De manière globale, l’activité est en baisse, du coup aujourd’hui par exemple, avec la pluie on sait d’avance que ça ne va pas être très bénéfique. En plus, il y a de moins de moins de monopole sur une catégorie de riz, donc forcément, je vends moins. Il y a aussi des problèmes de sécurité. D’ailleurs, depuis peu, l’entrée des Zems à l’intérieur du marché Dantokpa est interdite car il y a eu énormément de braquages à main armée. Cette mesure de sécurité gouvernementale vise ainsi à limiter les fuites facilitées par la rapidité de déplacement des 2 roues avec le butin.
Ah oui ?
Oui. Les commerçants sont livrés à eux-mêmes et continuent à brasser de l’argent, derrière leur échoppe avec comme simple souhait que ce ne soit pas eux les victimes de braquage. (Ceux qui ont les moyens ont des vidéosurveillances, ce qui n’empêche pas toujours les braqueurs. Certains encore ont recours à des gardiens ou agents de sécurité). Chacun est responsable de son emplacement et des valeurs qui s’y trouvent alors même que les sommes brassées peuvent atteindre les millions.
Quelle est ta stratégie de fixation des prix ?
Entre le prix d’achat et le prix de vente, il y a parfois à peine une plus-value de 200 FCFA. En cas de rupture de produits, si on est le seul à le vendre, le prix bien évidemment peut rester élevé et là, on peut espérer une marge de 1 000 ou 1 500 de bénéfice sur un sac de riz. Sinon, la norme est autour de 400 à 800 FCFA. Par exemple pour le Premium thai : 16 500 / 17 000 FCFA le paquet de 25-50 kg acheté 14 400. 150 à 200 CFA de transport peuvent être revendus à 15 000 FCFA. Donc la fixation du prix dépend aussi de l’interlocuteur en face même s’il y a un seuil en-dessous duquel je ne veux évidemment pas aller.
Tu fais des crédits ou des promotions ?
Des crédits, très peu mais ça peut arriver pour des gens de confiance. Par contre, je fais des soldes comme tout le monde quand mon stock est difficile à épuiser et qu’il y a des produits nouveaux qui rentrent. Des fois il m’arrive de brader à perte, le but étant de liquider mon vieux stock.
Quelle est ta stratégie de communication pour garder ou gagner de nouveaux clients ?
Il n’y a pas de stratégie publicitaire mise en place spécifiquement. Le bouche-à-oreille est très important à Tokpa et il marche. De temps en temps, je fais circuler mes cartes de visite lorsqu’on est dans des soirées ou lors de rencontres ou le réseautage peut se mettre en place. Le fait de permettre au client de venir se garer devant la boutique est aussi une stratégie de fidélisation ou d’attrait car les places manquent et le parking n’en n’est plus que prisé.
As-tu une méthode pour identifier combien de gens s’arrêtent dans ton magasin inopportunément et ceux qui viennent en connaissance de cause ?
Le pourcentage de ceux qui rentrent par hasard est environ de 10 %.
Pour les fidéliser, je ne sais pas encore quoi faire. Or en pensant par exemple à une méthode de rabatteurs qui fera venir les gens au magasin, il faut absolument que je trouve un produit qui me différencierait de tout ce que les autres ont déjà.
Une fois que tu es en face du client, quelle est ton arme secrète pour le garder dans ton magasin ? Qu’est ce qui fait ta « patte » ?
Je mets un pont d’honneur à assurer un accueil de qualité. Pour moi, le relationnel est très important
On n’hésite pas à entrer dans un jeu de séduction ou chacun joue un rôle. Le but c’est de fidéliser. Le moyen, la manifestation du respect mutuel qui peut très bien passer par le fait de raconter la vie de chacun ou de partager une expérience commune (comme celle à laquelle j’ai assisté, à savoir le comportement des parents le jour de l’annonce des résultats du bac de leurs enfants). Une complicité peut être établie avec certains clients au fur et à mesure des années. Ces clients sont choyés
Tu sais quelle est ta réputation ?
Oui. On dit de moi que je suis chère mais honnête et très fiable sur la qualité des produits que je vends. Il n’y a aucune fourberie ni trafic. Je suis reconnue comme quelqu’un d’agréable avec un super-relationnel.
C’est quoi ton positionnement par rapport à tes concurrents ?
Autour, il y en a qui vendent vraiment en gros et ont des fournisseurs qui peuvent passer des commandes allant jusqu’à environ 5 000 sacs de riz, voire plus. Ils prennent plus de risques, donc le fournisseur leur donne beaucoup de produits.
De ce fait, ils tuent le marché et sont même parfois amenés à vendre à perte. Mais les fournisseurs leur font suffisamment confiance pour leur concéder le produit à crédit. Du coup, leur fonds de roulement est important.
Moi je ne suis pas encore en contact direct avec LE fournisseur capable de me livrer une telle quantité. Je n’ai pas de gros gros clients. Je n’ai pas une trésorerie suffisante donc je ne peux pas investir en quantité. Du coup c’est le serpent qui se mord la queue car je n’attire pas non plus ceux qui ont besoin de beaucoup de marchandises.
Quelle est ton projet ou ton prochain objectif ?
Peut-être bien entamer une stratégie de reconversion en diversifiant les produits que je vends car l’activité « riz » n’est plus aussi rentable.
À court terme, je vais prendre quelques jours de vacances .
Ce sera bien mérité…
Vilédé GNANVO