La semaine dernière sur le boulevard des Philosophes à Genève, je remarque des pensées écrites sur des panneaux de chantier. Elles sont signées Matias, précédées du pseudo Instagram @davidmatias365

 
Elles sont accessibles à tout le monde. Certaines sont  légères et très positives. D’autres sont empreintes d’une mélancolie qui m’a donné envie d’en savoir plus sur cet artiste qui appose sa signature comme une invitation à rentrer en contact. Je ne sais rien de cette personne , encore moins sur les motivations profondes de sa démarche. Marketing, simple volonté de partage, appel au secours ou juste un happening de street artiste ?
Je regarde sur Instagram, 3 posts récents mais des milliers de followers. Je prends contact. Dès l’envoi du premier message, l’aspect chaleureux de sa réponse me conforte dans sa disponibilité à être là. On fixe le lieu de rencontre, ce sera devant le M. de Matias.
Matias - Genève - Aout 2020 - ©No Fake In My News

Artiste à l’âme de poète

Je le vois arriver. Il est beau, me paraît sûr de lui. Allure mi-dandy mi-bad boy avec ses cheveux courts à la Édouard Norton dans American History X. La comparaison s’arrêtera là, au physique. On se pose à un café. J’étais partie pour une interview classique, ce sera une conversation ouverte comme si je retrouvais une connaissance.
Je découvre un homme de 31 ans passé par des épreuves, généreux et plein de bienveillance. Il a une sensibilité à fleur de peau palpable dans le regard et un sourire qui me fait penser à Gorges Michael. Très vite, je prends le parti de croire sur parole ce qu’il me livre de lui.
Il me parle d’un univers artistique d’avant les mots dans la rue où il faisait de l’art figuratif, puis de l’abstrait. Tout a été provisoirement mis entre parenthèses le temps d’un renouveau. Il me fera suivre plus tard « Cicatrice », une de ses toiles peintes en mars 2019.
 
Cicatrice par David Matias 03.03.2019 . ©davidmatias365
 
Cette toile a été créée après un traumatisme vécu quelques jours auparavant. J’ai décidé d’exprimer mon ressenti sur une toile de grand format… Pour évacuer l’émotion, l’incompréhension et la rage qui régnaient en moi. La plaie ouverte est maintenant suturée, presque cicatrisée. Et disparaîtra avec le temps…
David Matias

Il m’embarque dans son monde plein de rêves, de poésies, de réflexions philosophiques sur la vie.
Je note chez lui la volonté de se délester de tout ce qui peut être futile au profit de l’essentiel. Comme de son téléphone portable dont il s’est débarrassé sans regret. Son compte instagram, c’est sur l’ordinateur qu’il y accède. Il veut absolument être libre, recherche de la profondeur. Sa quête de bonheur est vivace. Son désir de rendre l’amour contagieux est évident. Il pense qu’on peut s’affranchir de beaucoup de contraintes sociales même si le prix à payer est parfois élevé. Lui s’est senti assez fort pour s’en détacher.
On fait un tour rapide de son « Taudi », où se trouvent également pinceaux et pots de peintures, outils indispensables à ses réalisations.
 

Le tour du personnage en quelques maximes

Lorsqu’il a écrit dans la nuit ses phrases sur les bois de chantier du boulevard, David a déposé un pack de bière pour les ouvriers qui allaient travailler le lendemain. C’est le signe du respect et de l’intérêt qu’il porte pour les autres. La bienveillance revendiquée semble être au cœur de ses actions, quoi qu’il en coûte. Sans haine ni rancœur, il a le souci d’alléger par les mots, le poids des souffrances qui touchent les plus exclus, les personnes obligées de dormir dans la rue, ou celles qui subissent en silence le piège infernal d’une routine sociale.
Il me parle d’un environnement familial pas toujours à la hauteur de ce qu’on peut en attendre. Il conspue l’idéologie qui inscrit les valeurs essentielles dans les sommes d’argent qu’on peut amasser ou le matérialisme qu’on exhibe.

Ses inspirations, il les a surtout la nuit, dans le calme. Les phrases lui viennent par à-coups, il prend son matériel et va les inscrire dehors. Chacune d’entre elle a une résonance particulière parce que liée à une situation qu’il a vécue. Leur objectif est de susciter la réaction des autres, d’offrir du bonheur à quiconque ouvert à le recevoir, de dire des choses que certains redoutent d’entendre, d’apostropher sur ses préoccupations du moment, de mettre de la douceur ou de l’émotion dans le quotidien des passants. Ses goûts musicaux sont éclectiques, dépendent de son humeur. Ces temps-ci, il écoute beaucoup Una Mattina de Ludovico Einaudi. 

S’ensuit une déambulation dans quelques rues de Genève, le temps pour lui de me faire découvrir d’autres panneaux sur des chantiers qu’il a eu le plaisir de marquer. Certains n’existent déjà plus, car recouverts par d’autres bâches. Le propre de l’art de rue…
David insiste sur sa volonté de ne pas dégrader les beaux bâtiments, sur son retour parfois sur des lieux pour réitérer ses écrits effacés. Sur son envie d’être au côté des personnes démunies, qui suscitent parfois de l’indifférence. Il signe ses phrases moins pour se faire de la pub que pour les revendiquer. Il n’a plus peur de rien. Ni des amendes qui s’accumulent, ni de la Police qui pourrait l’entraver dans la réalisation de ses textes urbains . Il assume ce qu’il fait, envers et contre tout, contrairement aux actes commis par d’autres dans l’anonymat.

Ainsi, ceux qui veulent le connaître viendront à lui. Et des retours il en a déjà eu. Beaucoup de témoignages de gens chez qui les phrases ont un certain écho, à qui elles donnent de l’énergie. Avec eux, il ne partage pas que des mots. Ses messages positifs  redonnent du sourire à certains , font vibrer d’autres,  insufflent une once d’amour, de douceur, de bonheur. L’objectif semble atteint. 
Mais chez lui, poster des mots dans la rue n’est peut être qu’une une forme transitoire d’expression de son état d’âme. David ne se définit pas comme street artiste. Quand je lui pose la question, il me répond « artiste peintre ». Il me répète à plusieurs reprises qu’il est prêt à tout pour exercer son art. Même si le prix à payer est de dormir dans la rue. Car pour le moment, il n’ent vit pas encore. Ses anciennes toiles sont stockées chez un professionnel. Il se replonge aussi dans la création de nouveaux tableaux grand formats qu’il espère exposer en galerie, en prenant soin de ne pas toutes les « divulgacher » sur les réseaux sociaux. Il est plein d’autres projets.
 

Les cartes de l’amour

Les cartes de l'amour par David Matias 2 - Genève - Aout 2020 ©No Fake In My News
L’un d’entre eux tourne autour de « cartes de l’amour ». On revient sur le sens des mots, l’essence des actes. Il a pu en imprimer un certain nombre grâce à la générosité de personnes qu’il a rencontrées et avec qui le feeling est bien passé.
Il ne veut pas en faire commerce, fuit un marketing qui l’enfermerait dans des obligations là où son objectif au contraire est d’assurer la transmissibilité de la bienveillance par le simple passage de carte d’une main à une autre.
Un geste facile à faire, mais surtout, pas d’ordre à donner. Une sorte de contrat moral qu’on passerait avec soi-même au moment où l’on reçoit la carte de l’amour, avec tout ce que cela comporte comme responsabilité. Juste quelque chose de positif et gratuit à impulser car pour lui,  tout ce qui compte est dans la place qu’on accorde à l’autre.

A terme, il aimerait voir ses cartes traduites dans des langues différentes et circuler partout . Il a envie d’explorer Paris. Il souhaiterait aussi recouvrir les grandes Capitales de ses mots.

Nul doute que les murs des villes du monde se réjouiront d’accueillir les phrases d’un artiste aussi touchant que mystique dans son approche des choses.

 

Vilédé GNANVO

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