L’image des armes est à la fois emblématique et controversée. D’aucuns diront d’elles qu’il s’agit de simples outils au service de ceux qui les manipulent. D’autres y voient des objets destructeurs portant en eux tout le mal. Quoi qu’il en soit, l’arme a depuis longtemps été un « outil d’artiste ».

Bien loin de l’idée que je me faisais quand j’ai pensé à cette thématique, la question de sa présence dans les œuvres de street art n’occupe pas une place prépondérante dans le débat public.

En 2014, en Grande Bretagne, un projet culturel (Le plan Good Graffiti du Conseil de district du West Dorset) a fait l’objet d’une controverse par le simple fait que l’affiche représentait un pistolet. Symboliser la société occidentale via le prisme cinématographique du cow-boy au revolver n’a pas été accepté par tous. [1]

Bien entendu, il peut être légitime de se demander en quoi le pistolet reste simplement une matière qui inspire le créateur d’art et quel est le niveau de violence provoqué par l’impact visuel des œuvres qui représentent les armes.

Sans doute que cela dépend du contexte social. Ce que je constate est que l’usage des armes est omniprésent sur nos écrans télé, sur le net ou dans les jeux vidéo. Alors que ces médias ont été très souvent remis en cause pour incitation à la violence après des événements tragiques, on ne peut pas en dire autant de l’art urbain.

Les créations en street art participent souvent d’une démarche de confrontation, de défi à la société. En Europe, Il semble que cet art soit bien plus orienté vers l’esthétique que vers le pur militantisme. Cela ne veut pas dire qu’il renonce ou n’assume pas un engagement citoyen [2]. Mais la méthode de revendication ou contestation ne passe pas nécessairement par la mise en avant de menaces ou des armes.

Le street art armé que j’ai croisé n’en rajoute pas en termes de violence. Loin de là. Il en atténue l’effet par le recours à de multiples références culturelles ancrées dans l’imaginaire. Les illustrations de pistolet chez certains artistes renvoient vers l’amour des premiers westerns avec des cowboys pour héros, des icônes de pop art ou de la musique, ou encore des personnages cultes de science-fiction. L’arme semble être comme beaucoup d’autres objets, le lien entre l’auteur et ses souvenirs ou idoles. À la multitude des styles de création s’ajoute inévitablement le désir de diffuser des messages, de rendre hommage aux héros de BD, films policiers ou romans noirs.

Bien sûr, l’impact de l’affichage brut d’une arme à feu peut être déstabilisant. Qu’elle soit représentée dans sa réalité ou de manière abstraite, sa perception ne laisse pas indifférent. Et à travers ces images pleines de sens, nous sommes invités à voir la société dans laquelle nous vivons.

 

  • Elles nous conscientisent à travers des détournements humoristiques de l’objet tout en gardant un sens profond lorsque ce dernier joue son vrai rôle d’arme.
  • Elles happent notre conscience en nous interpellant sur ce qui se passe.
  • Elles nous accompagnent dans nos souvenirs quand elles font référence aux mêmes idoles que nous.
  • Elles nous rassurent lorsqu’elles s’affirment en vecteur de messages pacificateurs.
  • Elles nous invitent à mener une réflexion profonde sur notre environnement sans jamais nous forcer la main.
  • En fin de compte, elles ne nous dirigent que rarement vers la violence basique ou gratuite, et si elles nous secouent c’est souvent pour nous protéger.

Mon parti pris d’observatrice.

Ceci dit, on ne peut pas faire totalement abstraction du statut de l’arme dans notre société. C’est un objet qui permet de faire mourir ou de laisser vivre. En tant qu’instance de pouvoir, son rôle est énorme car il est là pour être craint, il dissuade. Si sa représentation imagée est à la portée de tous, sa détention est légalement réservée à quelques-uns, et son usage est socialement approuvé en fonction des contextes dans lesquels on se trouve.

Pour autant, mon propos ne sera pas de m’attarder sur des aspects sociologiques ou de chercher à savoir si le message qu’a voulu envoyer l’auteur en représentant une arme est moralement valide ou pas.

Je m’éloigne donc volontairement de toute considération politique ou éthique pour me recentrer sur ce que j’ai aimé voir lors de mes promenades urbaines ou de découvertes d’expositions consacrées à l’art urbain.

Je prends le risque de me tromper voire de passer à côté de messages importants aux yeux des artistes cités, pour vous livrer mon interprétation personnelle, forcément subjective.

Et pour ce faire, j’ai voulu égoïstement réécrire les histoires des sept œuvres ci-dessous.

Les 7 œuvres de 6 artistes restées dans mon viseur.

« Attirés par la lumière ». Ce pochoir faisait partie des nombreuses œuvres de JEF AEROSOL présentes à l’exposition « STREET GENERATION (S) 40 ans dart urbain » à la Condition Publique à Roubaix.

"Attirés par la lumière" par Jef Aerosol - STREET GENERATION (S) 40 ans d'art urbain 2017 - ©No Fake In My News

JEF AEROSOL est un artiste multicasquettes né en 1957. Il œuvre dans la musique et dans un street art qui se fond de plus en plus dans l’art contemporain. Référence incontournable et spécialiste dans l’art du pochoir, il fait partie de la première génération des artistes urbains des années quatre-vingt. « Mes créations sont, en grande partie, directement issues de cette iconographie pop-rock-folk accumulée dans les années effervescentes de ma jeunesse ! » écrit -il sur son site [3] – [4].

Sa création ici résume selon moi à elle seule toutes les interprétations décrites plus haut. Quand le cowboy (à la Clint Eastwood) tire avec une arme d’où sortent des papillons attirés par la lumière, notre œil suit la trajectoire de la dure réalité sociale dépeinte par les œuvres encadrées au centre (lutte, pauvreté, désarroi social). Les papillons libérés par l’arme se dirigent vers la source d’espoir qu’est la lumière, vers l’optimisme.

« Stoba Feet ». Peinture aérosol, encre sur toile. Œuvre créée par l’artiste BASTO. La photo est prise à l’exposition « L’homme et la machine » à la Galerie JPHT à Paris.

"Stoba Feet " par BASTO - ©No Fake In My News

BASTO est un artiste français largement inspiré par le Pop Art, Andy Warhol, et la saga Star Wars. Né en 1973 à Marseille, il vit et travaille aujourd’hui entre Genève et Paris. Il utilise l’aérosol, son outil de prédilection auquel il associe également la digigraphie, l’acrylique, les feutres peinture et les pochoirs. [5] – [6]

Ici, outre l’emprunt à Star Wars, ce qui est frappant est la manière dont cette image se juxtapose avec notre réalité sociale militarisée depuis les événements survenus ces dernières années. Je crois voir un des hommes du dispositif « Sentinelle » qui sillonnent la Défense et son esplanade à longueur de journée et cette image me rassure : elle m’évoque la protection. Bien entendu, celui qui le veut peut aussi y voir « la déshumanisation des soldats via leur représentation en hommes robots ».

« David Bowie » de l’artiste Yarps. La photo a été prise le long du canal de l’Ourcq à Aubervilliers en Seine Saint Denis. L’œuvre a été réalisée dans le cadre du Festiwall, évènement autour du street art.

"David Bowie" par YARPS - ©No Fake In My News

C’est un hommage à David Bowie icône absolue de la chanson pop. En l’armant d’un pistolet, l’auteur fait un clin d’œil à deux univers qui lui sont chers : la musique et le cinéma cow-boy. L’homme caché de la maison bleue semble attentif au moindre danger, mais son regard reste serein. Il est déjà loin…

« P38 ». Cette sculpture murale représentant un pistolet sur plexiglas fait partie d’une série de réalisations faites sur des supports technologiques (cartes mères, disques durs…). C’est une fois de plus une création de l’artiste Yarps . La photo a été prise à l’exposition « L’homme et la machine » à la Galerie JPHT.

"P38" par YARPS - ©No Fake In My News

Le pistolet en tant qu’œuvre d’art est montré tel un bijou dans son écrin. Bienvenue dans l’air de Bill Gates où l’homme et la machine fusionnent de plus en plus leurs destins. Le modèle intemporel de l’arme et le futur technologique se mélangent. Les touches de clavier de l’ordinateur quant à eux font écho à notre quotidien.

YARPS (aussi appelé par le palindrome de Spray Yarps) est un pochoiriste portraitiste, discret, libre, détaché du star-system et féru de musique. Né à Paris dans les années soixante, il a commencé dès 1985 dans les squats et le milieu underground parisien. Les armes constituent un de ses outils d’expression artistique. Il y associe régulièrement un humour décalé, un ton peu politiquement correct et de nombreux jeux de mots. Outre la présence de vinyles dans ses œuvres, on retrouve des personnages cultes de cinéma qui tiennent en joue le spectateur avec de gros calibres. Il explore volontiers des univers et matières différentes, pourvu que s’exprime son art. À la question posée sur rue-stick.com « Quelle est la citation, ou la formule, qui synthétiserait le mieux ton travail ? Il répond Motha’Fuckin’SprayCan’Art ou « Guns & Stencils » » [7] – [8] – [9]

« What are you looking at ? » Œuvre de l’artiste mondialement connu BANKSY. Cette photo a été prise en octobre 2016 lors de l’ouverture du musée du street art Art42 à Paris.

"what are you looking at" ar BANKSY - ART 42 2016 - ©No Fake In My News

BANKSY serait né vers 1970 à Bristol (UK). Il est jusque-là resté anonyme conformément à l’esprit du Graffiti ce qui suscite d’autant l’engouement public qu’il éveille. Résolument antimilitariste, anticapitaliste ou antisystème, il se sert de son art comme moyen de communication pour dénoncer les travers de notre société. Détesté par les autorités, on l’a surnommé terroriste de l’art (art terrorist) en Grande-Bretagne pour sa capacité à se faufiler et intervenir en douce dans les musées et centres d’attractions publics, tout en gardant l’anonymat. [10] – [11]

Mélange d’ironie, de dénonciation et de premier degré, cette caméra de surveillance-revolver vient nous signifier que nous sommes tous dans l’œil du cyclone de la sécurité. Je vous surveille de partout, mais n’essayez pas d’en savoir plus sous peine de sanctions graves. Le message est clair et sans ambiguïté : who watches the watchmen ? L’arme est pointée vers la vraie menace qu’est la vidéo surveillance qui entrave bien plus notre liberté. Le prix à payer pour vivre en sécurité ? Vaste sujet.

« Don’t talk to me » (graffiti représentant la femme armée) a été réalisé par Cloé Coiffard mais l’ensemble du graffiti est le fait d’un groupe d’artistes graffeurs ( dont Vusuel et Dink … ) sur un mur du nouvel espace éphémère dédié à la culture urbaine, l’Aerosol . La photo de l’oeuvre achevée vient de la page Instagram de DINK.

"Don't talk to me" par Cloé Coiffard - ©No Fake In My News

Vusuel : Painter Qaligrapher a fait ses débuts dans le graffiti en 1988. Sous un autre pseudo il a trouvé ses marques et travaillé de nombreux styles, du simple lettrage au lettrage plus compliqué. Il fait évoluer son style vers de nouvelles dimensions dont la calligraphie. [12]

Dink est un artiste dans le pur style de ceux qui appartiennent au graffiti. Sa spécialité est le lettrage vintage. Il a commencé à taguer en 89 avec les CREW CP5 TPK DKC PDG, dans un univers sous forte influence Hip-Hop. [13]

Cloé Coiffard (celle à qui on doit la partie de la femme armée), née en 1994 en Normandie commence son parcours artistique en touchant au dessin, à la peinture et au modelage de l’argile. Après une première année d’étude à l’ECV Bordeaux, elle comprend que les codes de ces études ne lui correspondent pas et explore désormais d’autres moyens de libérer son art… D’où la réalisation ci-dessus, l’une de ses premières en graffiti [14].

Ici, Il y a une injonction à garder ses distances, une invitation à écouter plus qu’à entrer dans une discussion. « N’écoute pas les adultes, la vie est belle » , peut-on lire sur une toile représentant la même image sur sa page Facebook [15]. Notre attention est attirée par ce qu’il se passe autour, le danger qui rode. On ne peut pas passer devant ce mur sans se dire que celle qui est menacée semble être la personne armée, sa détresse est visible dans le regard.

« Hand of God ». Il s’agit d’une œuvre signée de l’artiste ADESIR que j’ai prise en photo en septembre 2016 sur le bord d’une route à Porto Novo au Bénin. Je n’ai malheureusement pas pu recueillir des informations sur sa biographie, mais c’est aussi une manière pour moi de rendre visible une oeuvre béninoise qui illustre la thématique.

"Hand of god" par Adesir - Bénin- ©No Fake In My News

Ici, on est en face d’un hommage rendu à un artiste célèbre (Tupac Shakur), l’une des figures de la Gangsta Rap et de la guerre qui opposa pendant des années les ennemis de la Côte Est et Côte Ouest aux Etats-Unis. Le pendentif en arme est affiché en référence à un environnement dangereux. Il n’est pas l’objet principal de la création mais reste suffisamment important pour définir qui était le personnage.

Bang … Bang, street art didn’t shoot me down…

Dans cette machine de guerre du street art où se mêlent toutes les formes de revendications, je me suis attelée à mettre en avant quelques photos « shootées » au fil de mes découvertes.

Ce ne sera pas trahir les intentions des artistes que de dire qu’il revient à chacun de recevoir les visuels montrant les armes et de les interpréter à sa guise comme outil de contestation, revendication, révolte, contre révolution, dénonciation, protection ou simplement un objet d’art… Une œuvre artistique.

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