Rencontres

Rencontre avec Elvire Gandji, fondatrice de BoostMakers

Rencontre avec Elvire Gandji, fondatrice de BoostMakers

Alors que tout semble à portée de main via les nouvelles technologies ou les réseaux sociaux, entreprendre de nos jours reste une démarche compliquée tant il manque des facilitateurs pour accélérer les processus de création. C’est exactement sur ce constat que s’est appuyée Elvire GANDJI pour fonder son entreprise BoostMakers , une place de marché de services B2B pour les professionnels.

Sous cette dénomination, il y a le souhait d’ apporter une certaine facilité et fluidité dans les relations fournisseurs – clients. « BoostMakers est une communauté de professionnels de services, les MAKERS, qui partagent le valeurs de confiance, de bienveillance et de respect d’engagement pour générer la recommandation mutuelle d’affaires mutuelle et par leurs clients » .  

Tenace et visionnaire, elle me livre ici les points clés de sa plateforme dans le paysage entrepreneurial et ses perspectives de développement avec en filigrane, la valeur confiance au cœur du dispositif.

Logo BoostMakers


Bonjour Elvire 
Bonjour  

Parle moi un peu des grandes lignes de ton parcours 
Alors, j’ai un master en supply chain managment,  qui est la gestion globale de la logistique, avec une spécialité en systèmes d’information. Il y a quatre ans, j’ai fait un Executive MBA à NEOMA Business School. En termes d’expérience professionnelle j’ai été consultante pendant plus de vingt ans dans les grands cabinets de conseil tel que Cap Gemini . 

D’où te vient cette force d’entreprendre?  
Depuis toute petite j’ai eu envie d’entreprendre et d’assurer une forme d’indépendance. Et pour cela je me suis investie dans plusieurs choses comme la revente d’articles sur internet via Amazon. J’ai eu des velléités d’entreprise parallèlement à mon métier de consultante, donc après mon MBA j’ai décidé de me lancer dans l’aventure et j’ai créé BoostMakers. 

Justement, pourquoi BoostMakers ? 
BoostMakers est née d’une idée simple. Plus de 80 % des entreprises ont du mal à trouver des fournisseurs et plus de 90 % des TPE/PME ignorent les risques encourus lorsqu’elles signent un contrat. Aujourd’hui, quoique nous achetions, services ou produits, on nous demande notre avis. Mais c’est souvent après coup. Cela veut dire qu’on a vécu une expérience et on la partage mais on ne revient pas en arrière. Autrement dit, si on est déçu , on ne peut pas rattraper le coup, on ne peut que partager une expérience.  Du coup, BoostMakers (qui est une plateforme de services) a voulu changer les choses car pour nous, seule une relation de collaboration pérenne et fructueuse permettra de donner son avis après coup, donc d’avoir des indicateurs, (surtout de la confiance) pour pouvoir choisir son fournisseur et une entreprise avec laquelle on a envie de collaborer, d’acheter ou de rester dans une relation commerciale. BoostMakers a créé la Notation Certifiée qui est le résultat d’une évaluation des entreprises qui ont envie de montrer qu’elles sont de confiance. C’est LA place de marché de confiance 

Qu’est-ce qu’une place de marché ? 
Une place de marché c’est comme un marché traditionnel, un marché du dimanche ou type Carrefour. Sauf que cette fois ci, nous sommes en ligne. C’est l’offre et la demande qui se rencontrent en ligne grâce au développement du web 2.0 . Il y a celles des free-lances avec la mise à disposition des compétences. Il y a des places de marchés où on ne vend que des contacts, il y a celles où on vend etc… Mais il y a aussi des places de marché qui s’engagent, elles sont plus rares. C’est le cas de BoostMakers qui  rassemble des fournisseurs de confiance sur une place de marché multi-services. 

Comment se positionne BoostMakers par rapport aux  concurrents ? 
Chez BoostMakers , nous considérons qu’aucune relation pérenne ne peut exister sans confiance. Pour ça, nous créons les conditions de confiance totale basée sur la capacité à satisfaire un client et à respecter ses engagements et nous pensons que pour être dans cette dynamique de façon positive, il faut aussi que le fournisseur soit dans une recherche d’excellence. Cela ne veut pas dire qu’on est forcément excellent mais qu’on se remet en cause, on améliore constamment ce que l’on fait, on tire les leçons des retours d’expérience des clients et on se met au goût du jour. Se mettre au goût du jour c’est faire appel à l’innovation, à la remise en cause de soi, c’est miser sur une bonne formation des salariés. Aujourd’hui, on ne peut pas rester dans la course de la réputation du travail bien fait si on ne se remet pas en question de façon régulière.  
Notre valeur ajoutée à nous  est que nous avons mis en place sur notre plateforme des dispositifs permettant d’auto évaluer les fournisseurs de service pour savoir s’ils sont en mesure de respecter leur engagement et de donner satisfaction à leurs clients. Nous avons créé un environnement de collaboration durable entre clients et fournisseurs.
Concrètement,  pour mettre en relation l’offre et la demande, nous évaluons d’abord la qualité de l’offre et de l’offreur pour que la demande, donc le client ou le porteur de projet ne puisse pas être déçu après la mise en relation. C’est là où se situe notre engagement que nous pouvons appeler la mise en relation sécurisée. Nous sécurisons cette mise en relation par la Notation Certifiée. Ça veut dire que n’importe qui en position d’achat ou porteur de projet aura en sa possession un ensemble de critères pour qualifier son offreur, vendeur ou entreprise fournisseur.

Comment vois-tu BoostMakers dans deux ans?
Quand je me projette, je vois une évolution de notre modèle économique notamment un ancrage de notre système d’autoévaluation d’aujourd’hui. Et BoostMakers à envie à l’avenir de créer un espace d’autoévaluation dynamique, ouvert et adapté aux différents services, en dehors des normes qui sont trop chères et inaccessibles pour certaines entreprises de bonnes volontés mais qui se heurtent à un coût trop élevé. Nous pensons faire évoluer notre système d’évaluation au-delà des seules frontières françaises pour que chaque entreprise puisse s’inspirer de ce que nous proposons pour avoir un commerce éthique, une relation de collaboration gagnante et réduire drastiquement les avis négatifs ou les frustrations des relations commerciales.

Et pour y parvenir, tu as des partenaires aujourd’hui qui te suivent?
Oui bien sûr. Plusieurs partenaires nous suivent puisque dans l’état d’esprit même de la communauté, outre l’autoévaluation, nous avons besoin des auditeurs. Nous en avons plusieurs. Nous avons besoin aussi de plusieurs coachs pour pouvoir accompagner notre communauté. Nous avons fait une levée de fonds et nous avons par exemple aujourd’hui un partenaire comme la BNP qui nous suit. Du coup, nous sommes très bien entourés. 

Donne-moi deux mots pour inciter à s’inscrire su ta plateforme.
Pour le client : Nous lui permettons de faire des économies parce qu’il peut comparer les offres, de trouver les meilleurs fournisseurs car les nôtres détiennent la notation certifiée qui est la confiance. Quant au fournisseur, nous leur permettrons de rejoindre la Communauté des Makers que nous avons mis en place afin que la notation certifiée puisse remplacer l’argument commercial, et que leurs prix soient justifiés. Le but ici c’est qu’il puisse faire du business sans se poser trop de questions parasites et rencontrer leur marché tout simplement. 

C’est très novateur tout ça…  Je ne peux pas te laisser sans te poser un question un peu hors contexte… quoique… . Quel est ton rapport à l’art
Alors… j’adore l’art et plus précisément l’art contemporain. J’adore tout ce qui est création de façon générale, et je félicite surtout l’esprit créatif des gens car cela force le respect. 

Merci
Merci. 

 

Vilédé GNANVO

Rencontre avec l’artiste béninois Rafiy Okefolahan et ses ‘Faits divers’

Rencontre avec l’artiste béninois Rafiy Okefolahan et ses ‘Faits divers’

La première fois que j’entends parler de Rafiy Okefolahan, c’était à une exposition sur l’art urbain à la Galerie Lazarew, au détour d’une conversation que j’ai avec la galeriste. Dès qu’elle apprend que je suis béninoise, elle me parle de cet artiste très « créatif et habité par la culture de son pays ». Huit mois après, je le rencontrais.

Faits divers

Je ne connaissais pas Rafiy Okefolahan. Je commence donc à le suivre et guette sa prochaine expo. Elle se présente. C’est « Faits divers » à la Galerie Charron. J’y fais un tour. Pour moi c’est compliqué à comprendre. Je note dans mon agenda le 11 novembre à 15 heures, date annoncée par la galerie pour une discussion prévue en présence de l’artiste.

Printannier - Série 'Faits divers' 2017 par Rafiy Okefolahan

Mais cet après midi là, je suis à une foire d’art, je ne vois pas le temps passer, je rate Rafiy. Qu’à cela ne tienne. Je refais un tour à l’expo quelques jours plus tard. J’y redécouvre les toiles colorées faites de teintes primaires. À première vue, les mélanges de couleurs sont des appels à la joie de vivre. Et ça contraste avec la grisaille des derniers jours d’automne. Mais il n’y a pas que ça. Je sais des lectures sur lui que l’artiste est féru d’actualité. Je décèle dans les ombres de ses toiles abstraites les tourments de la société. Elles recouvrent autre chose, avec une seconde lecture moins accessible. Je veux savoir ce qu’il y a sous le masque de ses silhouettes fondues dans les couleurs. En sortant, j’apprécie mais je reste un peu sur ma faim, ou devrais-je plutôt dire, ma soif de mieux comprendre.

Diverses œuvres de la série "faits divers" 2017 par Rafiy Okefolahan

Peu de temps après, j’apprends que le succès rencontré par l’expo a permis qu’elle soit prolongée jusqu’au 21 décembre. Cette fois-ci, je saisis l’occasion. Je décide de rencontrer l’artiste pour en savoir un peu plus. Je le contacte via Instagram. Rendez-vous est pris.

Ce qu’on peut déjà dire de Rafiy

Il est né le 7 janvier 1979 à Porto Novo ( Bénin ). Il puise sa force créatrice dans le bouillonnement culturel de l’Afrique. Artiste nomade, son parcours l’a porté dans divers pays d’Afrique de l’ouest, avant qu’il ne s’installe 2 ans au Sénégal, à l’école Nationale des Arts de Dakar. En 2014, il a été sollicité pour une première commande publique pour l’Aéroport de Cotonou (Bénin) [1] . Aujourd’hui, il vit et travaille en France. Il projette sur ses toiles les lectures qu’il fait des événements qui secouent la planète. Il met dans ses œuvres son intention de faire découvrir la culture en général, celle de son pays d’origine en particulier. Et pour cela, il se sert volontiers des éléments naturels comme la terre, le sable ou le marc de café. Il conçoit sa production comme un moyen de mettre de l’ordre dans le chaos du réel, de lutter contre l’oubli, de garder en mémoire [2] .

Rencontre avec l’artiste

Pour comprendre mon travail, il faut connaître mon pays, ma culture

Rafiy Okefolahan

La rencontre a donc lieu le lundi 27 novembre 2017, il est 16 heures et il pleut des cordes. L’artiste Rafiy me reçoit dans son studio en rez-de-chaussée dans une ville de la proche banlieue parisienne. Il est entouré de quelques amis artistes, parmi lesquels le promoteur d’événements via la plateforme  Natural Dap Records . Il est surpris, il pensait voir un homme. Il faut dire qu’avec les réseaux sociaux, aucune présentation formelle n’avait eu lieu auparavant. Une fois les présentations faites, nous rentrons dans le vif des sujets qui me permettrons d’en savoir un peu plus sur sa personnalité pour mieux saisir ses œuvres.

Je vous propose donc en exclusivité, des extraits de l’interview que j’ai menée avec lui.

Pour commencer, tu peux te présenter et revenir un peu sur ton parcours ? 
J’ai commencé entre Cotonou et Calavi. À force de côtoyer des peintres et autres artistes, j’ai eu envie de peindre aussi. Au début, je faisais des petites choses au centre artisanal et j’ai approché un artiste qui m’a inspiré. Au Bénin, l’inspiration part souvent du Vaudou. 

Et c’est qui cet artiste ? 
Peu importe. Il n’a pas voulu me prendre comme élève car selon lui, je n’avais pas des aptitudes pour la peinture, pas une tête à faire la peinture. J’ai donc commencé à prendre des cours à droite et à gauche chez d’autres artistes. Pour survivre, j’ai d’abord reproduit des œuvres pour vendre. J’ai rencontré un artiste togolais, Kikoko qui était en exil politique. Il utilisait un grattoir, pas un pinceau. Pendant 6 mois, j’ai peint à ses côtés et appris d’autres choses.
Puis j’ai beaucoup voyagé pour apprendre d’autres techniques. Car l’histoire et la pratique religieuse étant différentes dans chaque pays, les inspirations et les influences le sont aussi. Plus on s’éloigne du Bénin, plus c’est différent. Il y a d’autres réalités. J’ai ensuite intégré une école nationale des beaux-arts à Dakar au Sénégal. Je n’y suis resté qu’1 an car il y avait trop de théories et moi j’avais besoin de pratiquer et de gagner ma vie. Je fais la Biennale de Dakar. En 2008, je mets en place le mouvement ELOWA (qui veut dire Aller et revenez en paix en Yoruba ) pour favoriser les échanges et la création entre divers artistes. J’ai continué à travailler avec des artistes puis je suis allé en France dans un but artistique, sur invitation du galeriste Olivier Sultan.
Et comme je voyais qu’il y avait beaucoup de protocoles pour intégrer la scène artistique à Paris, que c’était trop long avec trop de codes, j’ai pris mes tableaux sous les bras et je suis allé frapper à des portes de galeries au culot. Une galerie m’a proposé une collaboration et depuis 2009, je suis resté et c’est comme ça que les choses sont parties. Aujourd’hui, j’expose un peu partout. 

Mais tu avais une idée du prix du marché et de la valeur de tes tableaux quand tu as démarché les galeries ? 
Non pas du tout. Je suis même venu avec mes prix depuis là-bas. Le genre 500 euros pour une toile 1 m/1 m. J’ignorais les prix du marché 

Comment définis-tu ton style ? 
Je ne donnerai pas une définition académique de mon style. Donner une définition, c’est se mettre dans une case. Moi j’ai envie d’apporter un mieux. J’ai envie d’apporter des émotions aux gens. Par exemple il y a des mots dans ma langue qui ne correspondent à rien dans ce que je veux décrire en français. Moi je pense d’abord en Yoruba et ensuite je traduis en français.  Pour comprendre mon travail, il faut connaître mon pays, ma culture .
Dans mon travail, je parle de mes valeurs, de ma culture, de la manière dont les gens s’adaptent aux nouvelles technologies. Le mot artiste a évolué avec le temps… 

Oui il est un peu galvaudé c’est ça ? 
Oui c’est ça 

J’ai lu une interview de toi en 2012 sur Africultures : où tu disais toujours chercher la bonne définition de l’artiste. Tu as trouvé ? Qu’elle est elle ? Tu l’as toujours été ou tu l’es devenu ? 
Oui je peux dire, aujourd’hui, je suis un artiste, un bon coloriste. 

OK, justement tu te définis comme quoi ? Artiste contemporain ? Artiste africain contemporain ? 
Artiste. Il ne faut pas qu’on associe « africain » à quelque chose de moins bien, comme une sous-catégorie. Je suis artiste et bien sûr je suis Africain. Mon inspiration est dans le Vaudou et le Bénin. Mais le message que je porte est global. D’ailleurs on parle de monde globalisé aujourd’hui. Donc oui, je suis artiste et je me revendique du monde.
Dans la création ce sont souvent les événements qui permettent de créer. L’histoire de l’art occidentale est différente. Les transmissions sont différentes. Donc l’implication dans l‘histoire d’écriture de l’art est différente. Nous en Afrique, on a une histoire, sauf qu’on la transmet à l’oral. Donc il n’y a pas de trace. Ça ne veut pas dire qu’on n’a pas de passage dans l’histoire de l’art. Mais on n’a pas fait la transmission nous-même, on ne fait pas les choses pour la transmission. 

Justement les réseaux sociaux et internet et tout ça sont là pour permettre la transmission non ? 
Oui, les réseaux sociaux sont une mine d’or pour l’Afrique. On doit se libérer de certaines personnes. Plus besoin d’intermédiaire. Ce sont des outils qui peuvent beaucoup aider en Afrique et sont accessibles au plus grand nombre. Dans ma création, je me sers souvent de tutoriels pour connaître de nouvelles techniques. Internet, c’est une mine d’info.
C’est un bel outil pour la sauvegarde, même si ça peut être dangereux pour l’œuvre d’art et les droits. C’est comme la Bible. Tout dépend de comment on la lit. Ici, tout dépend de l’usage qu’on fait de son œuvre sur les réseaux. Ce n’est pas pareil de publier une œuvre que j’ai signée que de mettre en ligne une photographie qu’on vient de prendre en tant que photographe. Elle peut être détournée, volée. Il faut faire attention à ce que l’on fait. 

Quelles sont tes sources d’inspiration ? 
L’actualité est une source d’inspiration. Le but est de toucher les gens de manière agréable. D’où les couleurs. En Afrique, les couleurs sont partout. Ma manière de fonctionner, c’est comme un féticheur. Il y a comme un besoin d’apporter un cadeau pour le fétiche par la couleur des peintures : rouge soleil, le vert qui évoque les plantes malaxées, le blanc qui est comme la pâte d’akassa mélangée avec de l’eau. La toile est un fétiche, les couleurs sont des offrandes. Par la superposition des couleurs, il y a l’acte de conjurer les mauvais sorts. Les problèmes appellent à l’acte de création. 

Qu’en est-il de ton actualité? Tu es à la fois à Paris et à Auxerre c’est çà? 
Non, l’expo à Auxerre est terminée 

Ah bon ? 
Oui c’est terminé. J’ai fait des choses à Auxerre avec la Jeune Chambre internationale. On a collaboré depuis longtemps sur divers projets avec le Bénin. J’ai fait une performance et j’ai invité plusieurs personnes à participer à une Œuvre collective pour le compte d’une association burkinabé « Chacun cherche son âne » [3] . 30 % des ventes de mon œuvre ont été reversés à l’asso. On a réussi à récolter 1 200 euros qui sont allés directement à l’association.
À Paris, je suis toujours à la Galerie Charron. Justement l’expo a rencontré beaucoup de succès et a été prolongée. 

C’est à la demande des visiteurs c’est ça ? 
Oui elle a bien marché et est prolongée jusqu’au 21 décembre. 

D’ailleurs à propos, je voulais aborder un autre pan de l’actualité. J’étais à AKAA récemment et j’ai été surprise de ne pas t’y voir. C’est une volonté de ta part ou… ? 
Tu sais, j’expose dans des galeries en permanence depuis 2009, à Paris. Et je ne voulais pas être à AKAA juste pour y être. Il faut du temps pour que tout ça se consolide. D’où la nécessite de ne pas se précipiter pour y aller. De toute façon, je finirai par y aller. Soit parce que je voudrais, soit parce que les galeries qui me représentent décideront d’y présenter mes œuvres. Aller à AKAA n’était pas une fin en soi. Mais c’est un événement majeur qui permet de montrer les artistes du continent et c’est une bonne chose. On verra ce qu’il adviendra, on verra si elle se pérennise aussi… 

Est-ce que tu collabores ici avec d’autres artistes ou tu es plutôt solitaire dans ta création ? 
Oui je collabore avec beaucoup d’artistes. J’ai mis en place « Les portes ouvertes à Belleville » et fait voyager des artistes au Bénin. J’œuvre beaucoup pour apporter ma pierre à l’édifice, apporter une autre manière de faire.
Il y a eu au Bénin, le festival de graffiti Regraff qu’on a mis en place pendant plusieurs années. Cette année, ça ne s’est pas fait car on a eu besoin de prendre du recul, de se poser un peu pour voir les directions à prendre. En général, ça a lieu en novembre. On le fera l’an prochain, j’y serai. En tout cas, les jeunes sont outillés là-bas. Maintenant il faut donner une autre orientation à la structure. On a fait venir des artistes en Europe. En France, il y a les artistes de Belleville qui vont au Bénin.
Sinon, je fais beaucoup de travail de pédagogie avec les élevés à Auxerre. Je leur explique l’importance des couleurs. Je les incite à mélanger les couleurs pour observer les résultats. C’est beau l’association de couleurs. Mais depuis deux ans je fais une pause dans cette dynamique d’impulsion culturelle car il faut consacrer aussi à la création. On a un minimum d’obligation vis-à-vis des galeries quand même… 

Une dernière question pour finir. Un de mes sujets de philo il y a longtemps c’était : l’artiste est-il embarqué dans la galère de son temps ? 
Oui. Mais la galère ce n’est pas que financier. Par exemple après un excellent vernissage, l’artiste peut se retrouver tout seul dans son coin, en isolement. La solitude le guette souvent.
L’artiste doit interpeller et se retrouve souvent à faire le boulot que la situation sociale attend de lui. Il devient gardien. Dans ce rôle, il doit être sincère. C’est comme un sacerdoce.
Moi je travaille 24 heures sur 24, pas de repos. Dans la création on s’oublie et on risque de se retrouver tout seul. En tant que créateur, on a besoin de tous pour créer. L’artiste doit se surpasser, passer du monde normal à l’isolement total. C’est comme Jésus en fait . Rires…

Oeuvre de Rafiy Okefolahon
Merci Rafiy pour cette enrichissante rencontre .
 
 
 
Vilédé GNANVO

Pour plus d’informations :

Sur l’artiste Rafiy
Sur l’expo « Fait divers »: En cours jusqu’au 21 décembre 2017 à la Galerie Charron
43 Rue Volta, 75003 Paris
Ouverture du mardi au vendredi de 13 heures à 19 heures, samedi de 13 heures à 17 h 30.
Tél. : 09 83 43 12 05 Email : contact@galeriecharron.com

Sources :

Une journée avec ma tante au marché Dantokpa

Une journée avec ma tante au marché Dantokpa

 

Acte I : Description de « tantie » et de sa boutique

Pour ceux qui n’ont jamais entendu parler de Topka, il s’agit du plus grand marché multisectoriel et à ciel ouvert de l’Afrique de l’ouest. Incontournable au Bénin, il est sans aucun doute l’indicateur de référence pour l’économie du pays avec une activité humaine qui peut atteindre le million de personnes qui viennent quotidiennement.

Cela fait des années que ma tante y est commerçante. Lors de mon dernier passage au Bénin, j’ai eu envie de faire un focus sur elle et son activité de vente de riz. Non pas parce qu’elle fait partie de mon top 10 des personnes que j’admire le plus, mais surtout pour voir quelle stratégie marketing elle a mise en place pour promouvoir son commerce.

Portrait de Tantie

Celle que j’appellerai Tantie tout au long de cet article est une femme dynamique de 56 ans, mariée et mère de 4 enfants. Après des études en sciences économiques, elle fait toute son école dès 1988 auprès de sa mère qui était aussi une commerçante de renom et reconnu dans le milieu.

L’entreprise dont elle a pris entièrement les rênes en 2000 est donc la poursuite d’un investissement initialement fondée par sa mère qui y vendait des tissus (wax). Au fil des années, l’activité s’est diversifiée jusqu’à se spécialiser dans la vente riz (détail et gros).

Dans ces gestes, je note le professionnalisme, la rigueur de la comptable et l’assurance de quelqu’un qui maîtrise parfaitement son secteur. Son sourire est désarmant, nul besoin de plus pour capter le client qui rentre.

Tout le temps qu’ont duré nos échanges, j’ai néanmoins perçu dans son regard, l’inquiétude face à une activité qui ne connaît plus les hauts niveaux jadis atteints.

Reportage sur les lieux

La boutique

J’ai passé une journée sur son stand le 14 septembre 2016. C’était une journée pluvieuse ce qui ne présageait rien de terrible en termes de rentabilité. Je l’ai observée faire, nous avons beaucoup discuté, puis je l’ai interviewée.

Je suis arrivée vers 11 heures dans une ambiance plutôt calme. J’en ai profité pour faire le tour du lieu.

La boutique n’est pas très grande mais s’étend sur la longueur. Je découvre un lieu de vie entièrement équipé pour le confort de la commerçante qui y passera une journée dans l’attente du défilé des clients.

À droite sur le côté, il y a un lit pliable d’une place pour se détendre si besoin. Je remarque la radio posée sur une chaise à côté pour écouter la musique ou les informations car Tantie est très intéressée par la chose politique.

Un petit coin cuisine est là sur ma gauche pour préparer ou réchauffer de quoi manger pour le déjeuner.

Au fond, j’aperçois l’entrepôt de stockage plutôt garni. Il y a toutes sortes de catégories de riz en vue de vente pour les particuliers ou les fournisseurs de gros. Riz cassé, riz jaune, riz long…

Stock de riz ©No Fake In My News

Le riz, le commerçant et le client

Soudain vers 12 h 45, les clients commencent à se manifester peu à peu. Parmi eux, des habitués mais aussi des nouveaux qui ont été recommandés. Certains, vu leur démarche hésitante ont eu du mal à trouver le lieu.

L’acheteur est parfois très averti et sait ce qu’il veut. Mais souvent, c’est Tantie qui conseille sur la catégorie la plus adaptée à son besoin et son budget.

La négociation commence et se mène très dure avec le client qui ne lâche pas le morceau. J’observe tout l’art de la marchandisation. Les échanges d’amabilité ne réduisent en rien la tension qui se manifeste lors de ce bras de fer qui commence avec pour seule motivation la satisfaction des 2 camps de s’arrêter sur un prix. Ça y est c’est fait. Tout le monde est heureux, la commande est passée.

C’est l’heure des comptes et de l’établissement de la facture. Dehors, il y a la voiture garée en face de l’échoppe dans l’attente que le coffre soit rempli de paquets de riz commandés par le client.

voiture garée

Ce service de chargement est fourni par des personnes tierces nommées « gbassè » qui s’occupent de récupérer la marchandise dans le dépôt et les charger dans le coffre de la voiture. [Il arrive aussi que des produits soient commandés, confiés à des « zems » de confiance qui les livrent au client et ramènent l’argent au vendeur. La confiance seule suffit].

Pendant que les sacs de riz sont chargés dans la voiture, l’assistante de Tantie veille au comptage. Une fois tout terminé, un décompte est refait pour vérifier que la commande est conforme à la facture établie.

Il est un peu plus de 17 heures On commence à ranger la marchandise exposée dehors en guise de vitrine. Finalement, entre le défilé des clients qui se sont succédés et les moments de rigolades sur les anecdotes qu’on a échangés, la journée est passée si vite.

Le bilan pour moi est on ne plus satisfaisant.

Du côté de Tantie, c’était une journée moyenne en termes de chiffre d’affaires.

Mais un autre défi l’attend : rentrer le plus vite possible à l’autre bout de la ville pour échapper aux énormes embouteillages du soir qui sont devenus la bête noire de tout conducteur de voiture dans le centre de Cotonou. Les réalités d’une fin de journée de travail changent si peu d’un pays à l’autre…

 

Acte II : Interview de « Tantie »

 

Main de tantie ©No Fake In My News

Depuis quand et pourquoi as-tu repris cette activité ?

J’ai accompagné ma mère depuis la fin de mes études et c’est tout naturellement que j’ai pris les rênes au moment où elle a eu envie de passer la main. Cette activité n’aurait certainement pas continué si elle n’avait pas eu confiance en mes capacités, et si quelqu’un de la famille n’était pas prêt à s’investir. D’ailleurs, je suis moi-même convaincue de ça à mon niveau.

Combien y a-t-il de personnel à ta disposition pour t’assister dans ta démarche quotidienne ?

Une personne qui vient avec moi.

Qu’est-ce que tu déplores le plus du coup ?

De manière globale, l’activité est en baisse, du coup aujourd’hui par exemple, avec la pluie on sait d’avance que ça ne va pas être très bénéfique. En plus, il y a de moins de moins de monopole sur une catégorie de riz, donc forcément, je vends moins. Il y a aussi des problèmes de sécurité. D’ailleurs, depuis peu, l’entrée des Zems à l’intérieur du marché Dantokpa est interdite car il y a eu énormément de braquages à main armée. Cette mesure de sécurité gouvernementale vise ainsi à limiter les fuites facilitées par la rapidité de déplacement des 2 roues avec le butin.

Ah oui ?

Oui. Les commerçants sont livrés à eux-mêmes et continuent à brasser de l’argent, derrière leur échoppe avec comme simple souhait que ce ne soit pas eux les victimes de braquage. (Ceux qui ont les moyens ont des vidéosurveillances, ce qui n’empêche pas toujours les braqueurs. Certains encore ont recours à des gardiens ou agents de sécurité). Chacun est responsable de son emplacement et des valeurs qui s’y trouvent alors même que les sommes brassées peuvent atteindre les millions.

Quelle est ta stratégie de fixation des prix ?

Entre le prix d’achat et le prix de vente, il y a parfois à peine une plus-value de 200 FCFA. En cas de rupture de produits, si on est le seul à le vendre, le prix bien évidemment peut rester élevé et là, on peut espérer une marge de 1 000 ou 1 500 de bénéfice sur un sac de riz. Sinon, la norme est autour de 400 à 800 FCFA.  Par exemple pour le Premium thai : 16 500 / 17 000 FCFA le paquet de 25-50 kg acheté 14 400. 150 à 200 CFA de transport peuvent être revendus à 15 000 FCFA. Donc la fixation du prix dépend aussi de l’interlocuteur en face même s’il y a un seuil en-dessous duquel je ne veux évidemment pas aller.

Tu fais des crédits ou des promotions ?

Des crédits, très peu mais ça peut arriver pour des gens de confiance. Par contre, je fais des soldes comme tout le monde quand mon stock est difficile à épuiser et qu’il y a des produits nouveaux qui rentrent. Des fois il m’arrive de brader à perte, le but étant de liquider mon vieux stock.

Quelle est ta stratégie de communication pour garder ou gagner de nouveaux clients ?

Il n’y a pas de stratégie publicitaire mise en place spécifiquement. Le bouche-à-oreille est très important à Tokpa et il marche. De temps en temps, je fais circuler mes cartes de visite lorsqu’on est dans des soirées ou lors de rencontres ou le réseautage peut se mettre en place. Le fait de permettre au client de venir se garer devant la boutique est aussi une stratégie de fidélisation ou d’attrait car les places manquent et le parking n’en n’est plus que prisé.

As-tu une méthode pour identifier combien de gens s’arrêtent dans ton magasin inopportunément et ceux qui viennent en connaissance de cause ?

Le pourcentage de ceux qui rentrent par hasard est environ de 10 %.
Pour les fidéliser, je ne sais pas encore quoi faire. Or en pensant par exemple à une méthode de rabatteurs qui fera venir les gens au magasin, il faut absolument que je trouve un produit qui me différencierait de tout ce que les autres ont déjà.

Une fois que tu es en face du client, quelle est ton arme secrète pour le garder dans ton magasin ? Qu’est ce qui fait ta « patte » ?

Je mets un pont d’honneur à assurer un accueil de qualité. Pour moi, le relationnel est très important
On n’hésite pas à entrer dans un jeu de séduction ou chacun joue un rôle. Le but c’est de fidéliser. Le moyen, la manifestation du respect mutuel qui peut très bien passer par le fait de raconter la vie de chacun ou de partager une expérience commune (comme celle à laquelle j’ai assisté, à savoir le comportement des parents le jour de l’annonce des résultats du bac de leurs enfants). Une complicité peut être établie avec certains clients au fur et à mesure des années. Ces clients sont choyés

Tu sais quelle est ta réputation ?

Oui. On dit de moi que je suis chère mais honnête et très fiable sur la qualité des produits que je vends. Il n’y a aucune fourberie ni trafic. Je suis reconnue comme quelqu’un d’agréable avec un super-relationnel.

C’est quoi ton positionnement par rapport à tes concurrents ?

Autour, il y en a qui vendent vraiment en gros et ont des fournisseurs qui peuvent passer des commandes allant jusqu’à environ 5 000 sacs de riz, voire plus. Ils prennent plus de risques, donc le fournisseur leur donne beaucoup de produits.
De ce fait, ils tuent le marché et sont même parfois amenés à vendre à perte. Mais les fournisseurs leur font suffisamment confiance pour leur concéder le produit à crédit. Du coup, leur fonds de roulement est important.

Moi je ne suis pas encore en contact direct avec LE fournisseur capable de me livrer une telle quantité. Je n’ai pas de gros gros clients. Je n’ai pas une trésorerie suffisante donc je ne peux pas investir en quantité. Du coup c’est le serpent qui se mord la queue car je n’attire pas non plus ceux qui ont besoin de beaucoup de marchandises.

Quelle est ton projet ou ton prochain objectif ?

Peut-être bien entamer une stratégie de reconversion en diversifiant les produits que je vends car l’activité « riz » n’est plus aussi rentable.

À court terme, je vais prendre quelques jours de vacances .

Ce sera bien mérité…

Vilédé GNANVO

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