Du 29 juin au 2 juillet à la Gaîté Lyrique se tenait la deuxième édition du Look Foward Fashion Tech Festival dédié à l’univers technologique et innovant des « wearables » [1]. Donner un aperçu du virage pris par la Fashion Tech, c’était l’enjeu de ce festival riche par ce qui constituait l’exposition mais aussi par les conférences qui sont venues ponctuer son déroulement. Beaucoup de tech, pas mal d’évocations de l’expérience client dans les prises de parole diverses, un peu de mode… : c’est ce à quoi j’ai assisté entre émerveillement et questionnement pendant le week-end.
Mode et technologies.
Parmi les intervenants, nombreux s’accordent sur le fait que l’horizon pour les créateurs ou marques est de plus en plus vaste en termes d’innovation. La digitalisation qui touche tous les secteurs n’a pas raté cette industrie. Plusieurs technologies conserveront un impact fort pour les années à venir : les impressions 3D, la RFID, la reconnaissance faciale, la réalité virtuelle ou augmentée, l’intelligence artificielle.
Du côté des consommateurs, de nouveaux usages se font sentir. Les tendances et les attentes sont à l’hyperpersonnalisation de l’offre. Les marques cherchent à devancer la potentielle demande du client. Selon l’experte Sissi Johnson « Pour le business du wearable et en général, l’IA et l’humanisation de la technologie seront les clés de demain. On ne peut mesurer ni l’émotion ni les sentiments mais tout engagement commence par la conversation ». Le contact humain reste donc une vraie valeur ajoutée et le plus gros challenge réside dans le lien. Ainsi, les retailers imaginent des structures capables de recueillir les informations nécessaires pour fluidifier la passerelle entre l’objet et le consommateur afin de créer du vrai sur mesure.
Au-delà de la distribution, toutes ces technologies arrivent dans le monde de la mode pour révolutionner les matières, les fibres. Même si elles interviennent déjà dans d’autres périmètres de l’industrie, elles restent un champ d’exploitation inestimable pour les vêtements tout en interrogeant un large spectre de sujets qui font débat.
À travers l’exposition qui était présentée, j’ai pu noter que le festival se voulait le reflet des préoccupations de la société dont cette industrie s’est appropriée : l’environnement, la gestion données, l’appropriation du corps et de l’espace, la place de l’individu dans un monde qui se virtualise sans limite et à grande vitesse, la dématérialisation. Quelques-unes des créations ont particulièrement retenu mon attention.
Voici donc quelques exemples de projets.
1- Le manteau Anti-Surveillance..
Crée par les artistes Marcha Schagen et Léon Baauw qui composent à eux deux le collectif KOVR , l’objectif est d’alerter sur les difficultés à contrôler nos propres données personnelles. Le manteau se positionne en rempart de nos données. Il est composé de « tissus métallifères qui font bouclier contre les ondes et les radiations et rendent indétectables les puces des objets que nous portons sur nous ».
Nous inciter à nous approprier nos propres informations et les protéger en prenant contrôle, c’est aussi la démarche visée dans la création de l’écharpe ISHU développée par Saif Siddiqui ISHU pour permettre d’échapper aux Paparazzis ( innovation non représentée ici, mais évoquée lors des débats).
2- La robe de Galina Mihaleva.
Avec cette robe connectée, l’artiste Galina Mihaleva via son projet Tranquillitie veut sensibiliser sur la pollution et ce qui nous entoure. Les capteurs et LEDs permettent au porteur de visualiser l’état de pollution sonore d’une ville grâce à la connexion au casque de VR (réalité virtuelle). On retrouve ici à travers ce projet, la mise en avant d’une des problématiques majeurs à savoir le respect de l’environnement et les adaptations nécessaires pour changer la donne.
De manière plus globale, d’autres marques ont travaillé sur des vêtements intelligents qui réagissent en fonction de la qualité de l’air ou de l’environnement. C’est le cas par exemple des masques à filtres de la marque Respro pour les pratiquants de deux roues.
3- Le KG Project.
L’artiste Kailu Guan met en avant la relation possible entre l’expression de la mode et celle de la réalité augmentée. Il utilise la technique de la sérigraphie. Grâce au smartphone et à l’expérience interactive proposée, les motifs du vêtement se prolongent au-delà des contours du corps pour devenir des surfaces interfaces.
La dématérialisation s’invite au cœur du débat. Dans un monde où tout se digitalise, inventer un mode de communication et un langage adapté devient un enjeu majeur, laissant libre court à l’imagination de chacun.
4- Le manteau Sacré Cœur.
Ici, la création est de l’artiste Stijn Ossevoort . Les vêtements augmentés sont la continuation de notre corps. Ce manteau connecté à son porteur recueille les données. Grâce à un capteur électrocardiogramme et un microprocesseur, le cœur artificiel reconnaît et reproduit la fréquence cardiaque de son porteur prolongeant ainsi l’action du corps sur l’objet. Saisir l’émotion rentre en jeu.
Bien au-delà de ces 4 exemples, il existe d’autres innovations représentées ici ou ailleurs. Elles oscillent autour du fait que notre peau devient notre nouvelle interface avec des objets connectés à notre quotidien : on peut citer le cas des tatouages intelligents comme le Duo Skin développé récemment par Microsoft. D’autres recherches essaient de réduire toute émotion de l’individu en anticipant les moments de stress, d’angoisse ou de peur.
Malgré tout l’émerveillement suscité par les progrès technologiques et innovation, plusieurs interrogations sont là auxquelles il n’est pas toujours facile de répondre.
Questionnements.
– Même s’il existe de nombreux projets dans lesquels la technologie se met au service de l’usage ou d’une bonne cause, leur utilité à long terme n’est pas toujours prévisible. Il arrive souvent qu’on se retrouve avec des projets et lancements de produits qui ne voient jamais le jour. Si on prend l’exemple des montres intelligentes ou plus récemment celui de la Google Glass, on constate que malgré la promotion faite autour de ces objets cela n’a pas marché car les marques n’ont pas suivi la technologie. Il est donc nécessaire pour tous les observateurs (notamment le relais médiatique) de prendre un peu de recul et de dissocier ce qui est annoncé à coups de communication juste pour faire du buzz, de ce qui va réellement révolutionner les pratiques et connaîtra un bel avenir.
– Qui aura la maîtrise des données (qui constituent un vivier d’informations sur le consommateur) produites par tous ces connectés ? Pour le moment, il est à noter que ce sont surtout des collectifs indépendants qui lancent la majorité des projets. Mais Les GAFAM [2] sont de plus en plus présents sur ces créneaux et sont des sources de financement non négligeables. D’où le questionnement sur l’usage qui pourra se faire de la collecte des informations qu’une petite partie des acteurs économiques détiendra.
– À un moment donné, les questions éthiques risquent de faire leur apparition. Selon Gaël Clouzard du magazine INfluencia , on est arrivé à un point où la société pousse des créateurs à imaginer des vêtements qui nous protègent contre la fuite de nos données, ou la protection de notre image. Ce sont là des indicateurs intéressants des failles et des dérives que les évolutions technologiques engendrent. Pour voir la même problématique sous un regard moins alarmiste d’autres arguent que réfléchir sur ses techniques servent aussi à nous sensibiliser sur ce qui est important avant qu’il ne soit trop tard. (Matthieu Vetter, CEO de SILEX ID).
-Comme on le sait, à la base, on utilise la technologie pour répondre à des problématiques. Mais quand on attend de la machine qu’elle répare la faille humaine, les effets pervers du transhumanisme et donc de l’eugénisme ne sont jamais bien loin. Le commencement de la machine dans la fin de l’homme ?
Ce que je pense.
Cette industrie est en pleine évolution. À titre d’exemple par l’ANDAM a créé cette année le prix de l’innovation pour favoriser l’adaptation de la création et des marques aux évolutions technologiques.
Bien évidemment pour la fashionista que je suis, j’ai vécu les deux jours passés à ce festival avec autant d’inquiétudes que d’enthousiasme.
D’un côté, je suis consciente que seule une très faible proportion d’entre nous se sentira concernée par des problématiques comme l’écharpe anti paparazzi (n’est pas star qui veut). Et en pleine IOTISATION [3] de la société, le tout sera de savoir quelle part du gâteau les GAFAM, ogres dévorant les secteurs l’industrie, vont s’engloutir. N’y a-t-il pas un risque que l’individu soit relégué un peu plus dans l’anonymat et reste dénué de tout pouvoir de décisions sur lui-même ?
De l’autre, j’y ai vu une course vers quelque chose de plus en plus impalpable mais qui reste exaltant. Il est clair que des vêtements innovants détectant les maux de la planète et de ses chers habitants ne peuvent que provoquer ma satisfaction. Cela m’a donné envie d’être déjà dans 20 ans pour savoir quels prototypes ont vu le jour, quels objets se sont pérennisés et surtout quelles innovations ont fait avancer les causes importantes dans leurs usages de tous les jours.
Ceci étant dit, à titre personnel, si je pouvais disposer d’une combinaison que je revêtirai tous les jours pendant 5 minutes et qui me garantira pour les 50 prochaines années l’état physique et mental dans lequel je suis aujourd’hui, je ne le bouderai pas. Je pourrai ainsi mourir tranquillement après 90 ans avec la certitude d’avoir bien vieilli…
Avis aux investisseurs et autres créateurs !
Vilédé GNANVO
Sources
[1] https://fr.wikipedia.org/wiki/Technologie_portable
[2] https://fr.wikipedia.org/wiki/GAFAM
[3] Origine : Francisation de IoT (prononcer « AÏ – O- TI ) C’est l’ abréviation anglaise de Internet of Thing qui veut dire Internet des Objets
L’élégance antipollution. Par Arnaud Pagès
L’ANDAM prend le virage de la « fashion tech ». Par Caroline Rousseau. Le Monde du 4 juillet 2017 P19
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